Ils sont venus, ils sont tous là. Le père, les mères, les fils et leurs soeurs, même Bibi la fille élevée au biberon. C'est donc une cinquantaine de moutons qui, accourus du fin fond du pré, s'agglutinent devant moi, alors que je viens à peine d'arriver. Quelques unes se mettent à uriner, preuve d'un début de stress. Il me faut donc parler. Vite, très vite, d'autant plus que ces regards étranges me fixent d'une telle manière qu'il m'est difficile de deviner précisément leurs attentes.
Meêêê meêêê, beêêê beêêê, ouaf ouaf, hi han hi han, coin coin coin coin... Je multiplie les mots d'apaisement. Leur promets de la bonne herbe pour l'hiver, une prime de maternité pour les unes, une formation au métier de bélier pour les autres. Autant de balivernes - moi seul le sais - qui ne seront jamais tenues pour bon nombre qui finiront bientôt à l'abattoir. L'assemblée m'écoute dans un silence respectable. Il est vrai qu'elle a une mémoire aussi courte que son dos récemment tondu. Seul un jeune insolent ose m'interrompre quelques instants. Le gaillard est vite remis en place d'un hurlement strident qui lui cloue le bec. Moi aussi, je sais jouer les Valls à quatre temps.
Je ne peux alors m'empêcher de penser à la conférence de presse tenue hier par le chef de l'Etat. Moutons sous les lambris de l'Elysée, moutons dans une prairie du Boischaut. Où se situe réellement la différence ? Peut-être dans le manque d'applaudissements de mes auditeurs. Et c'est ainsi que, ce matin, je suis fier et honoré d'avoir tenu ma première conférence moutonnière sous un ciel chargé qui eut cependant la délicatesse de respecter mes justes paroles.
ADM, le 17 mai 2013